Ma grand-mère est une lectrice passionnée.

Un peu en avance sur son temps, elle a divorcé pour se donner le droit d’étudier, elle est devenue professeure de philosophie, puis psychanalyste lacanienne et toujours convaincue du pouvoir des mots.

Enfant, du fait d’être née fille, elle fut privée de lecture. Elle se débrouilla néanmoins pour voler un livre, un seul, qu’elle a tant lu et relu que le souvenir de scènes entières lui demeure encore aujourd’hui, dans son âge avancé.

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Elle m’a, par contagion et temps passé ensemble, transmis sa fièvre de lectrice et son idéal féministe. Et puis un jour, j’ai commencé à faire du théâtre, à explorer la langue avec mon corps, ma voix, mes gestes, à prendre la place et la parole : une grande révolution pour une jeune fille de 11 ans. C’était dans la troupe de mon village, il manquait des garçons et j’étais grande en taille. Alors on m’a donné un faux nez en plastique moche et j’ai joué le rôle de Cyrano.

(Si, sans ce hasard, le premier rôle que j’avais interprété avait été celui d’une héroïne classique, cantonnée à la fonction dramaturgique d’être l’objet d’un désir masculin, avec peu de mots et sans véritable pensée propre comme il en existe tant, je ne pense pas que j’aurais eu le désir de devenir actrice. )

Depuis la scène, j’ai vu ma grand-mère dans le public qui souriait, son maquillage dégringolant, ses lèvres formant en silence et au même rythme que les miennes, les syllabes écrites par Rostand, là, malgré nos cinquante ans d’écart, nous étions une, vraiment.​

Lola Giouse